Buenos Aires-Alta Gracia : Premiers coups de pédale sur la route du Che.

    Nous vous avions laissé dans la savane entre les griffes des fauves. L’Afrique c’est terminé, nous y reviendrons. Côme, nostalgique à l’aéroport de Joburg, dit que l’on ne peut pas visiter qu’une seule fois l’Afrique. Nous devons tourner la page, démarrer un nouveau chapitre en espérant qu’il nous captivera, vous avec, autant que le précédant. L’avion atterrit, comme sur le cul d’une poule diraient certains, nous voilà à Buenos Aires en Argentine. Plein d’entrain et curieux comme des poussins sortis de l’œuf, nous filons vers le centre et le quartier de Palermo où nous attendent Estelle, Nassim et Thibaut, trois copains de l’ESCP qui nous accueillent pour nos premiers jours en Argentine. A peine arrivés pour un échange universitaire, ils vont découvrir presque en même temps que nous cette ville et ce pays qui nourrissent notre imaginaire depuis le début du voyage. Cette fois ci nous y sommes pour de bon. Nous commençons par une journée à marcher longuement dans les rues de la capitale, remontant l’avenue Santa Fé par le quartier de la Recoleta, longeant les berges des bassins du Puerto Madero, le nouveau port, devenu cœur économique du pays. Nous poursuivons par un passage sur la Plaza de Mayo, l’équivalent de notre place de la Bastille, le haut-parleur du peuple en Argentine. Il n’est pas un débat politique qui n’ait de représentant sur la « Place de Mai », depuis les revendications des mères de disparus en foulard blanc après la dictature de Videla, jusqu’aux mouvements paysans exigeant une réforme agraire. Nous terminons cette visite par une petite bière dans le quartier populaire de la Boca, dangereux la nuit mais incontournable le jour. La Boca, c’est aussi le club de foot et le grand stade de Diego Maradonna, hissé au rang de Dieu vivant partout en Argentine.  Ici le petit Lionel Messi ne semble pas encore avoir dépassé le maitre.
      Ce premier soir c’est aussi le soir du 10 Janvier, l’anniversaire de Côme qui a désormais 23 ans. Alors pour l’occasion, Estelle Nassim et Thibaut nous ont préparé un asado (barbecue en Argentine) sur leur terrasse pour nous faire découvrir l’incroyable viande argentine. Ce soir, c’est soir de fête et on ne vous cachera pas qu’on a bien ressorti le tire-bouchon de notre couteau suisse qui commençait à sérieusement à s’encrasser.  Sophie, une autre copine de l’ESCP nous a rejoint. 


L’ambiance est au beau fixe, ça transpire l’inintelligence à mesure que les bouteilles de vin tombent. Avouons que ça fait du bien de temps en temps. Nous dansons, chantons sur des tubes de Pierre Bachelet ou Joe Dassin, sans peur du ridicule, puis filons dans une boite de Palermo. Jusqu’à 6 heures toute la fine équipe investit la piste de danse jusqu’à n’en plus pouvoir marcher, puis va se coucher en trainant du pied, sauf Côme, qui préfèrera se perdre en ville puis s’endormir sur le pas de la porte en attendant qu’un somnambule vienne lui ouvrir.


23 ans et une forme olympique pour Côme


Nous passerons encore 2 jours à nous promener en ville, profitant de nos amis et de l’arrivée de Julie Degrève (Dehuelga comme dirait l’autre) qui elle aussi est de passage avant de partir étudier au Chili. Ces deux jours sont aussi l’occasion pour nous de nous rendre compte de l’insécurité qui règne dans ces grandes villes latinas. En une journée nous sommes les témoins impuissants de deux agressions et vols à l’arrachée..
Nous profitons enfin d’un dernier diner avec nos hôtes puis bouclons nos sacoches. Cette fois c’est parti, il est 11heures le lundi 13 Janvier et nous grimpons sur nos selles pour 5000 kilomètres en Amérique Latine. Le temps d’embrasser une dernière fois nos potes et nous voilà lancés dans la jungle urbaine de la périphérie de Buenos Aires. 

Photo de famille avant de prendre la route

Il nous faut parcourir 80 kilomètres d’un enchainement de villes sans intérêt, bruyantes, polluées et encombrées, avant de croiser les premiers brins d’herbe, signes avant-coureurs de l’entrée dans le « campo », l’arrière-pays argentin.  Nous savourons notre premier pique-nique sur cette terre nouvelle et faisons un premier état de notre pouvoir d’achat, qui s’avère catastrophique. Le gros problème du moment en Argentine, c’est l’inflation. On ne parle que de ça autour de nous. L’indice des prix prend 30% par an depuis quelques temps. C’est la panique. Chacun tente de se débarrasser de ses pesos le plus vite possible avant qu’ils ne valent plus rien et se réfugient en achetant des devises étrangères, l’Euro en particulier. Du côté de l’offre, voyant les coûts de production monter et les consommateurs incités à consommer le plus vite possible, les entreprises et commerçants continuent d’augmenter leurs prix. C’est un cercle vicieux. L’inflation entraine l’inflation. La monnaie ne vaut plus rien et on échange aujourd’hui presque 16 pesos contre un Euro sur le marché noir. Et comme le gouvernement de Cristina Kirchner refuse de dévaluer la monnaie, le taux de change officiel reste bloqué artificiellement à 9 pesos contre 1 Euro. Et nous, derrière tout ça, n’ayant pas prévu d’amener en liquide notre budget en Euro, nous sommes obligés de retirer des Pesos au taux officiel,  ce qui nous offre 8,33 Pesos seulement pour un Euro… En conclusion, notre pouvoir d’achat est 2 fois moins élevé que ce qu’il devrait être dans la réalité économique. C’est la crise pour la Grande Echappée !
Allez c'est la crise mais prend toi un maté quand même


Cette parenthèse fermée, revenons à nos lamas. C’est l’heure de trouver un premier logement pour notre première nuit argentine. Dans la ville de General Rodriguez, nous frappons à plusieurs portes, demandant un bout de jardin ou planter la tente. Apres quelques échecs, nous tombons sur la famille en or. Nous sommes accueillis chez Ignacio, Maria et leurs deux enfants Thomas et Maïte. En réalité il y avait un troisième enfant de 1 mois mais comme il n’était pas très loquace pour son âge, on ne se souvient plus de son prénom. Notre nouvelle famille nous prépare des milanesas en pagaille (des escalopes milanaises, héritage de l’immigration italienne) et une belle salade qui réunit tout le monde à table dans la bonne humeur. Ça parle de foot, des études des enfants, de l’Argentine, de la France. Bref chacun raconte son histoire, nous nous passionnons les uns pour les autres le temps de ce diner puis partons nous coucher. Juste avant, alors que les enfants dorment, Ignacio veut nous montrer quelque chose. A la nuit tombée, Ignacio nous confesse être un « jardinier pas comme les autres », un jardinier nocturne, qui, presque sous les yeux de ses enfants fait pousser sans scrupule une dizaine de plants de cannabis qu’il arrose lorsque tout le monde dort. Le matin suivant nous prenons le temps de déguster ce fameux Maté que les argentins boivent toute la journée (le thé local qui se boit à plusieurs avec la même paille dans une sorte de rituel). 

Remake du départ à Notre Dame

Une vendeuse offre la protection du pape à  l'équipe

 
Nous repartons et découvrons le décor qui va nous suivre durant encore 900 km. Imaginez-vous rejoignant les bords de Loire en passant par la Beauce française. Des champs à perte de vue sur des routes gigantesques qui paraissent 2 kilomètres mais en font 15, les champs de blé remplacés par du soja, du maïs ou quelques tournesol, le bitume brûlant sous 38 degrés à l’ombre et pas un arbre pour se couvrir avant 10 kilomètres, sans oublier un vent qui a eu la lumineuse idée de se mettre face  à nous. Comme dans la Beauce, dans cette diagonale du vide argentine, il n’y a rien à voir, rien à faire à part contempler l’immensité du vide de la région, focaliser notre regard sur un oiseau, une sauterelle qui traverse la route (Vincent, ce flambeur, prétend avoir vu un chacal !),  se boucher le nez au passage d’un cadavre de chien ou de vache, ou simplement attendre que le soleil nous brûle la nuque. 

Rien à l'horizon ? alors c'est le bon chemin

Un vrai gaucho de la Pampa

De temps en temps nous pouvons tourner la tête en passant devant l’entrée de  ces estancias, ces immenses propriétés de plusieurs milliers d’hectares louées des fortunes à des agriculteurs. Traverser la Beauce à vélo ça prend un ou deux jours. Là nous y somme pour 9 jours. Alors il faut prendre notre mal en patience et chercher la beauté de la région ailleurs que dans ce paysage lunaire. Et heureusement nous découvrons qu’elle se trouve sans aucun doute dans le cœur de ses habitants qui rivalisent de gentillesse et de générosité pour nous guider, nous aider ou nous accueillir.
Revenons sur ces rencontres. Le troisième jour, Côme se rend compte qu’il a oublié sa sacoche avant (avec son passeport, cet idiot) à la station service où nous étions le matin de l’étape. C’est la panique dans ce petit troquet de routiers où nous mangeons quelques empanadas à mi-chemin dans notre étape. Notre aubergiste, presque plus affolé que nous, prend son téléphone et appelle tout un tas de numéros. C’est bon,  le sac est localisé. Il nous sauve. Reste plus qu’à faire demi-tour sur 50 km puis revenir. Là, un couple de routiers, accessoirement témoins de Jéhovah, propose à Côme de l’emmener à bord de leur camion. Alex et Vincent attendent à l’auberge pendant ce temps-là. Une fois le sac récupéré, il faut encore à peine 5 minutes à faire du stop pour trouver à nouveau un routier adorable qui ramène notre étourdi à l’auberge. Encore une fois, quelle gentillesse, même s’il faut bien avouer que ce dernier n’avait d’autre conversation que l’état du parc de poids lourds argentin. Alors forcément quand tu t’y connais pas en camions, t’as un peu l’air d’un con, surtout quand tu lui expliques que tu as laissé ton passeport dans une station service.. 

le vélo sans la fameuse sacoche


40° à l'ombre...

Passée cette frayeur, nous atterrissons, comme tous les français de passage à Bigand, un petit village au sud de Rosario, chez Catherine, qu’on pourrait presque appeler Cathou maintenant qu’on la connait mieux (Catherine si tu nous lis.. J ). Catherine c’est l’incontournable et unique française du village pour tous les français de passage, qu’ils soient de simples touristes, qu’ils fassent le tour du monde à vélo où qu’ils soient de l’émission Pékin Express avec toute une équipe de tournage. Peu importe, pourvu qu’on ait des choses à se raconter. Et là Catherine d’Argentine est imbattable. Anciennement abonnée au jardin du Luxembourg, la rue Soufflot et les balades sur les quais de Seine, « Cath », sur un coup de tête est partie en Argentine sauver la propriété familiale, perdue au milieu du campo. Et puis il y a eu cette tempête, des vaches qui volaient, des troncs sciés, des grêlons comme des œufs d’autruche, tout un tas de trucs un peu compliqués et Catherine a atteri dans ce village dans sa petite maison pleine de charme. Nous on a la version complète de l’histoire, si vous la voulez n’hésitez pas à vous rendre sur place, vous trouverez forcément son éternel sourire, ses deux chats pas bien bavards et avec un peu de chance, quelques empanadas dans le four ! 




Cathou nous accompagne de quelques coups de pédales
Au moment de quitter Catherine, celle-ci nous met en garde contre les tempêtes qui peuvent éclater fréquemment avec ces fortes chaleurs. En effet le lendemain à l’arrivée vers Justiniano Posse nous voyons bondir sur nous une grosse masse noire. Le vent se lève, soulève la poussière, nous balaie le visage et réduit notre vitesse à son minimum. Les écorces des eucalyptus qui bordent la route s’arrachent et nous tombent dessus. La vision diminue et la pluie commence à s’abattre. D’abord doucement, par grosses gouttes qui nous fouettent la peau brulée par les coups de soleil, puis à torrent, rendant la visibilité très faible. Alex et Vincent, 200 metres devant Côme, prennent à droite, Côme à gauche dans le village. Les premiers se réfugient assez vite sous un abri. Côme de son côté erre dans ce village fantôme transformé en petite Venise en à peine 10 minutes. Arrivé à hauteur d’un petit supermarché, les employées le recueillent et le traitent comme s’il avait frôlé la mort. On publie sur le facebook de la ville, on appelle les flics, les pompiers, tout le monde se met à la recherche des deux cyclistes manquants.. Côme, lui, ne comprend pas trop pourquoi on s’agite autant, d’autant que les deux arrivent une demi-heure plus tard, comme des fleurs, trempés jusqu’aux os et la moitié des roues sous l’eau ! Les caissières nous embrassent, nous offrent une réduction sur les courses et l’aventure se termine sur le parking d’une station-service à dormir au pied d’un camion citerne ! Pour la douche, Vincent remplit trois bouteille d’eau, disparait dans un coin, et hop, il est propre ! Toujours aussi glamour cette aventure décidément. 




Nous passons également devant un groupe de joueurs de Bochas ( la pétanque locale : cf nouvel article dans l’onglet sport) qui se réunissent tous les soirs pour enquiller des bières et parier des parties. Chacun nous raconte sa vie, ils nous sortent une bière fraîche. Ils parlent, ils parlent, à n’en plus finir.
-Vous voyez lui, c’est le meilleur maçon que j’ai connu ! il a 80 ans il est plus très cuit, mais il a construit lui-même 60 maisons ! Vous imaginez ??? Alex est pris de passion pour ces petits vieux qui lui font penser à des joueurs de pétanque des petits villages des bouches du Rhône, ceux des films de Pagnol !
       Chaque arrêt se solde par une rencontre nouvelle. Deux italiens d’origine nous accompagnent à vélo sur 20 km pour nous protéger du vent, une famille nous prend par la main en disant les grâces, implorant Dieu pour qu’il nous trace une route sans encombre. C’est en permanence une surenchère d’affections en tout genre. De quoi nous consoler des heures torrides passées dans les champs. 


Nos protecteurs du jour

Puis le 8ème jour nous arrivons enfin dans la sierra de la Calamuchita (Allez savoir pourquoi), une petite chaine de montagnes verdoyantes où nous découvrons enfin de nouveaux paysages. Nous abordons la zone par une première nuit sur la berge d’un lac de barrage à Almafuerte où nous nous endormons au son des tubes argentins chantés plus loin dans les bars de la plage. Nous traversons ensuite la petite chaine de montagnes en une étape de 90 kilomètres qui nous mène pour le déjeuner à General Belgrano, un petit village perché à 800 mètres qui regroupe essentiellement des émigrés allemands. Alors forcément on y fait soi-même sa bière, le village possède sa fabrique, c’est toute une religion ici. 



Nous pique-niquons au bord d’un petit ruisseau d’eau clair et froide, de quoi nous rafraichir car il fait toujours aussi chaud ici. Nous repartons ensuite jusqu’à Alta Gracia par une route splendide qui grimpe puis redescend dans les montagnes surplombant un immense lac éclairé par les derniers rayons de soleils. La route est sinueuse et la beauté du paysage nous fait oublier qu’elle monte. Enfin l’Argentine nous offre ce qu’elle a de plus beau. Il était temps. Alex tente même une comparaison avec une scène du Hobbit, lorsque toute la troupe des nains sort de la montagne et voit face à lui une profonde vallée et le royaume des Elfes ! Osée mais bien trouvée, diront les autres !


Arrivés à Alta Gracia à la tombée de la nuit, nous plantons le camp au bord d’une rivière d’eau cristalline dans un décor bucolique au possible. Nous nous baignons, prenons une bonne douche dans la rivière, concoctons un délicieux plat de pâtes et nous endormons au son du ruissèlement de l’eau, et des moustiques, soyons francs.. 
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Ici à Alta Gracia nous prenons enfin notre premier jour de repos en Argentine après 9 jours et 800 kilomètres. Nous sommes en particulier dans la ville natale du Che, et sur la route de son voyage initiatique retracé dans le film Carnets de Voyage. Nous sommes également sur la route du Dakar, qui est passé dans le coin il y a quelques jours. Alors à choisir entre les camions suréquipés et polluants, arborant sur leurs flancs les logos de quelques grosses multinationales, symbole assez fort d’un capitalisme éclatant, et le cheminement d’un révolutionnaire communiste à la conquête d’un continent, disons que nous avons un peu le cul entre deux chaises ! 
Peu importe après tout, cette année ce sera notre route, celle de La Grande Echappée.


2 commentaires:

  1. on est bien content de recommencer à vous lire ... ca ns manquait !!
    en plus, ça transpire (en vrai aussi !) la joie de vivre et le plaisir des rencontres ... ca a l'air essstra et plutôt gastronomique .... !
    a la prochaine
    on vs embrasse
    PS: ici, on vs rassure, rien de neuf: il fait gris et humide!
    les P

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  2. VOUS M'AVEZ FAIT RIRE AVEC VOTRE MANIERE DE PLANTER LES DECORS QUE VOUS TRAVERSEZ...JE RENTRE AUJOURD'HUI DE VOYAGE ET JE SUIS BIEN CONTENTE DE VOIR QUE VOUS CONTINUEZ EN PLEINE FORME...VOUS LIRE ET VOUS RETROUVER VIRTUELLEMENT,C'EST COMME LACHER LES PEDALES DANS UNE DESCENTE,DE LA LIBERTE EN PLEIN NEZ...J'ESPERE QUE VOUS NE PERDREZ PAS VOTRE SI SYMPATHIQUE ENTHOUSIASME...A BIENTOT...CATHOU...(FLATTEE,PAR VOS MOTS SI TOUCHANTS).J'ATTENDS A BRAS OUVERTS LES FUTURS VELOTROTTEURS QUI VOUS LIRONT.

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